Sur les chemins du baroque

La nuit avance, le jour viendra

Young_Bach2(Jean-Sébastien Bach, jeunesse)

Les 17ème et 18ème siècles sont des périodes riches en évènements politiques. Il nous suffit pour tenter d’en illustrer convenablement les faits sociaux et humains de puiser dans l’art musical contemporain du temps, la musique baroque.

En effet, l’ère de la musique dite « baroque » est alors à maturité et a donné à la postérité un bon nombre d’illustres compositeurs.
Le lien avec les faits de guerre ou de paix n’est donc pas fortuit, nous l’avons expliqué plus haut, mais dénoncer les horreurs de l’une en louant les bienfaits de l’autre grâce à la musique, nous aide à comprendre plus aisément les particularismes et les évolutions de cet art.
La musique de Jean-Sébastien Bach nous permettra d’illustrer nos propos de manière exemplaire.

La musique post-baroque est conventionnelle, propre à encadrer harmonieusement des scènes religieuses figées, où la peinture se suffit à elle-même dans l’illustration des émotions.

Vierge à l'enfant 1405(Vierge à l’enfant, école italienne, début du XVème siècle)

A partir du 17ème siècle, les canons de cette beauté immobile sont éclatés pour en mieux dépeindre le caractère humain. La seule harmonie ne s’accorde que trop peu avec les tourments de l’âme ; c’est ainsi que l’émoi, l’insatisfaction, l’agitation seront illustrés par des mouvements harmoniques et mélodiques tourmentés, brisés et désagrégés. L’art baroque est d’un expressionisme envahissant et excessif, il coule, se répand, vibre, tout comme l’architecture aux pierres et colonnes tourbillonnantes et torses. Le musicien réinvente donc la traduction des émotions.

Transverbération de Ste Thérèse, 17ème siècle(Transverbération de Sainte-Thérèse, Le Bernin, milieu du 17ème siècle)

Alors pour dépeindre les horreurs de la guerre ainsi que les bienfaits de la paix, la musique baroque apparaît comme idéale. Il s’agit d’émouvoir le cœur de l’homme.

L’exemple des cantates de Jean-Sébastien Bach est très représentatif. En effet, elles sont les jalons affectifs et dramatiques de sa vie.
La théologie grave et mathématique des luthériens donne naissance à des théories musicales typiquement allemandes au service d’un mouvement baroque traducteur des émotions. La religiosité n’en est donc pas exempte et devient presque théâtrale, dans le sens où le verbe se pare du mouvement.

Ainsi dans les cantates seront dépeints la guerre et la souffrance des hommes, la mort violente et injuste, mais aussi les moments de joie et les appels à la célébration divine.

Le Caravage(Le Caravage, fin du XVIème siècle, début du XVIIème siècle)

Triomphe d'Amphitrite(Le Triomphe d’Amphitrite, école française, 18ème siècle)

« La nuit est avancée, et le jour approche. Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière.»
(Epitre de Saint Paul apôtre aux Romains. Chapitre 13, Verset 11)

Nous affirmerons donc que ce texte se prête à l’interprétation « baroque » :
Coexistence du clair et de l’obscur, du raisonnable et de l’irrationnel, la « grandeur et la misère de l’homme » (Blaise Pascal). Thèse et antithèse sont présentes dans le texte lui-même : la nuit qui est avancée est une « œuvre » des ténèbres, tandis que le jour qui approche « s’arme » de lumière.


La nuit est avancée, œuvre des ténèbres

Sébastien Vrancx - Les horreurs de la guerre - début XVIIème - Hollande(Sébastien Vrancx, Les horreurs de la guerre, début XVIIème, Hollande)

« Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.»
Voltaire – 1759

Cantate BWV 62 : « Nun komm, der Heiden Heiland », « Viens maintenant, sauveur des païens ! » (1724)

(Direction : John-Eliot Gardiner)

Bien que cet écrit de Luther ait été partiellement réécrit par un poète allemand inconnu du 18ème siècle, nous savons qu’en 1524 éclata une violente révolte des paysans en Allemagne du sud. Ils revendiquaient la réduction des impôts et du servage, ainsi que la souveraineté des Ecritures. La répression fut terrible.
Jean-Sébastien Bach dépeindra donc par la musique la violence de la guerre ainsi que les appels à l’intercession du Seigneur.

Architecture baroque s’il en est :
Le registre sombre des deux basses, la sévérité et la rigueur de la structure en chiasme et l’écriture canonique désignent la croix vers laquelle l’enfant est déjà en marche.
La description musicale de la croix est le fruit des deux voix qui contrepointent la mélodie du choral avec le hautbois (instrument guerrier), mais aussi de cette figure de rhétorique typiquement baroque que caractérise un croisement d’éléments instrumentaux.
La croix est pour Bach le symbole du salut, comme une acceptation de l’arrivée incessante de la mort, un appel au dépassement.
« Nun komm » ou la persistance de ce « maintenant », comme un appel immédiat à l’intercession divine au-devant des horreurs perpétrées par les hommes.


Le jour approche, arme de la lumière.

l'Aurore de Jean-Simon Berthélémy, milieu du XVIIIème - France(L’Aurore, Jean-Simon Berthélémy, milieu du XVIIIème, France)

« O Paix ! Source de tout bien,
Viens enrichir cette terre,
Et fais qu’il n’y reste rien
Des images de la guerre.

Accorde à nos longs désirs
De plus douces destinées ;
Ramène-nous les plaisirs,
Absents depuis tant d’années. »

Jean de La Fontaine, 1679

Cantate BWV 36 : « Schwingt freudig euch empor zu den erhabnen Sternen »,  « Élevez-vous avec allégresse vers les astres lointains » (1731)

(Direction: John-Eliot Gardiner)

Cet évangile est  consacré à l’ « entrée à Jérusalem », aussi l’ambiance de l’œuvre profane correspond-elle aux « cris jubilatoires du peuple ».
Jean-Sébastien Bach utilise une nouvelle fois le hautbois, instrument dit de « plein-air » et guerrier (cantate précédente), mais aussi de la célébration de dieu (certains anges ne jouent-ils pas du hautbois ?).
Selon la théorie musicale française du XVIIème siècle, cette école Versaillaise du règne de Louis XIV, le hautbois « sonne haut » dans les lieux du culte. Il est parfaitement adapté à cet appel des croyants qui transcende le ciel et s’élève jusqu’aux « astres lointains ».
La partie des sopranos est une allégorie de ces voix qui montent vers le dieu de paix.

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5 commentaires

  1. Elise a dit :

    Un fortuné hasard m’a conduite en ce site.
    Votre prose est source des plaisirs les plus hauts !
    Merci pour ces pages et tout ce que vous y dites :
    A vous lire l’âme s’élance vers le beau.

    J’ignore si ceci est propre à vous complaire :

    Le quinze de juin une journée durant
    Quelques passionnés, en éminent colloque
    Dissertent sur l’Histoire et plus précisément :
    L’enregistrement de la musique baroque.

    Tout ceci au sein du petit auditorium
    En Bibliothèque Nationale de France.
    Pour vous féru d’Histoire et de Musique en somme,
    Le sujet de l’étude est idoine, je pense.

    1. Clément Chevalier a dit :

      Le ravissement que j’ai de vous lire,
      Egale à n’en point douter
      Ce que j’ai plaisir à nommer :
      Les merveilles de la lyre.

      Merci pour l’annonce de ce fameux colloque,
      Et malgré la flatterie d’en être le spectateur,
      Je n’y saurai promettre mon esprit rêveur…
      Bien qu’en y pensant il me vient comme un choc.

      Car le temps m’est partout bien trop sévère,
      Que de ce qu’il m’en donne,
      Et j’espère qu’il me pardonne,
      D’en reprendre le double je n’en décolère.

      Que l’on ne se désappointe pas,
      Et que l’on ne m’en tienne point grief
      Car deviser en vers ne me vient pas derechef,
      Acceptez-donc le modeste mot que voilà.

  2. Elise a dit :

    De tout cœur merci pour votre réponse, qui m’enchante. J’admire et jalouse ce don qu’est le vôtre d’insuffler tant de poésie aux vers qu’à la prose.
    Vous le voyez, je délaisse ici une plume impropre à se voir comparée à celles-même des « méchants écriveurs de lignes inégales » de Rostand. Je n’ai nulle habitude des vers, cela s’illustre assez dans le laborieux exercice qu’est le précédent commentaire !
    Je voulais vous dire qu’il est possible, si cela vous sied toutefois, de regarder et écouter « Les Fêtes Vénitiennes » de Campra (offertes par les Arts Florissants), diffusées en replay sur le site Culturebox. Mais cela seulement jusqu’à… demain, jeudi 14. Je ne connais pas cet opéra-ballet, mais j’aurais aimé en découvrir l’existence plus tôt. Le temps se joue de nous tous équitablement, semble-t-il !
    A bientôt peut-être en ces lieux édifiants,

    Elise

    1. Clément Chevalier a dit :

      Vous me flattez, et je ne saurai trop vous retourner le compliment quant à cette facilité qui semble également caractériser votre écriture.
      J’admire votre humilité ainsi que votre civilité, et il m’est agréable de voir que des personnes telles que vous honorent à bien des égards le petit site que voilà. Laborieuse vous ne le fûtes pas le moins du monde, et je louais en vous lisant la muse qui de ses feux inspirait votre esprit.

      Ayant raté de peu les représentations à Paris des « Fêtes vénitiennes », et n’ayant pu comme à mon habitude saluer le monumental et très cher William Christie, c’est grâce à votre célérité que je pus néanmoins admirer ce magnifique opéra-ballet sur le site Culturebox.

      Je vous conseille également l’élégant « Carnaval de Venise », du même compositeur, interprété par Hervé Niquet et le Concert Spirituel. De charmantes et passionnantes suite d’orchestre tirées de ces œuvres a paru il y a quelques temps, interprétée par l’orchestre baroque de Limoges et dirigé par le violoncelliste Christophe Coin.

      Je tais là mon bavardage. Je suppose que l’adresse mail contenue dans les commentaires est bien le vôtre ? Dans ce cas, et si vos horaires ont l’apanage du temps, je serai enchanté d’y continuer cette discussion.

      Clément

      1. Elise a dit :

        Je me réjouirais de poursuivre plus avant cet échange, et bien que rien n’égale les charmes d’une vraie correspondance, avouons que pour ce faire les mails sont très pratiques. Mon adresse est à vous.
        Je vais suivre avec plaisir votre conseil et m’enquérir au plus vite de ce Carnaval de Campra, merci de me l’avoir suggéré.
        J’espère vite avoir le plaisir de vous lire,

        Elise

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